9 Janvier 2011
Revenons au sujet : « Le MRP à n’en plus douter » et la réaction de Paul Vaucher à l'article de Pierre Renaudeau, dont j’ai dit qu’elle sonnait « un peu fort ». J’ai déjà évoqué le MRP dans un billet précédent, mais je crois utile d’y revenir.
Le MRP dans sa présentation classique est comme on vient encore d’en juger, extrêmement controversé. Ce qui est particulièrement controversé, c’est l’explication du phénomène dans sa version initiale mais sans doute encore davantage dans la version à laquelle Magoun a cru bon de conférer un aspect « mesurable » en indiquant un compte de pulsations par minute, absent chez Sutherland. Henri.O Louwett, traducteur de Sutherland, en a témoigné. Pas de trace de compte chez Sutherland. Et à partir du moment où l’on ose faire confiance à son ressenti, on s’aperçoit assez vite que l’on ne retrouve pas souvent les comptes décrits par Magoun.
C’est peut-être ce qui a été le plus nuisible à la crédibilité de ce que l’on a appelé MRP pour beaucoup de gens. D’autre part, compte tenu de la nature du phénomène observé, il y a une grande incompatibilité à vouloir mêler mesure et perception. La répartition et l'organisation de nos facultés cérébrales, font qu'elles se gênent l’une l’autre.
Il suffit de se rappeler des moments où nous étions confrontés à la fin des années 70, à l’écoute du crâne avec le descriptif de ce que nous devions sentir. Il y avait plusieurs catégories d’étudiants :
Ceux qui abondaient dans le sens de la description, dont je dirais maintenant que, pour la plupart d’entre eux , il était trop difficile de dire qu’ils ne sentaient rien.
Ceux qui ne sentant pas « ce qu’il fallait sentir », se décourageaient assez rapidement et ne s’attardaient pas très longtemps dans la poursuite de cette découverte.
Il y avait ceux enfin, qui ne sentaient pas non plus, mais qui, animés d’une profonde et insatiable curiosité et d’un besoin passionnel de rencontrer "la merveille" s'acharnaient. Et ceux là s’acharnaient, doutant de leur capacité, mais ils s’acharnaient et ils avaient raison de sentir autre chose, car le crâne ne vit pas comme dans les livres, ce qu'il exprime ce sont les entraves qui déforment la description livresque. Un autre ressenti est donc parfaitement justifiée, et parfaitement explicable. L’enseignement pratique de l’époque, hélas, manquait d’expérience et était contraint d’enseigner les textes. Je ne suis d'ailleurs pas sûr, et malheureusement, que ce ne soit pas encore trop souvent le cas.
Je me souviens d’une anecdote assez significative survenue sans doute en 1981, dans une école où l’enseignement de l’ostéopathie crânienne occupait une large place et où l’enthousiasme des étudiants était symptomatique de la découverte de ces merveilles de la vie. C’était incroyable !
Un étudiant qui, parallèlement, était aussi en 5e année de médecine, mis en doute l’explication du MRP telle qu’elle était reproduite dans les traductions approximatives de Magoun qui circulaient à l'époque. Il le fit avec une violence telle, qu’il mit au défi l’enseignant de « bloquer son MRP », à la manière de Sutherland exerçant des contraintes sur son propre crâne pour en apprécier les effets.
La grande erreur de l’enseignant qui se sentait probablement menacé de perdre la face, fut d’accéder à son défi en acceptant de serrer une ceinture autour de la tête de ce sujet tellement opposant, qui, de toute façon, serait mort sur place plutôt que de reconnaître la moindre gêne. Bien sûr il ne céda pas et dit que le serrage de sa tête ne créait absolument aucune sensation de malaise. En fait, tout le malaise était chez l’enseignant, évidemment. Ce dernier rentra chez lui où il vomit tripes et boyaux.
La valeur de cette anecdote ? C’est que, lorsqu’un opposant a décidé de nier un phénomène, rien ne peut amener le « résistant » à reconsidérer sa position s’il ne l’a pas décidé. Dans ce cas de figure on sort du simple débat d’idée, et cela montre le caractère passionnel, absurde, qui peut se faire jour autour d'un sujet comme celui-là.
La population ostéopathique, qui veut rationnaliser, c’est à dire mesurer, « peser » un phénomène qui est avant tout de l’ordre de la perception, se coupe précisément, en grande partie, de cette perception. Cette population là, est particulièrement attachée à la reconnaissance. De l’ostéopathie sans doute, mais sans doute pas seulement. JB Taylor, dans « Voyage au delà de mon cerveau », situe notre ego dans le centre du langage, cerveau gauche, royaume du rationnel. Si l’on n’accepte pas de prendre, de temps à autre, un peu de distance d’avec ce domaine où l’on ne sent pas Monsieur, on ne sent pas, on mesure.
On mesure, on compare, on théorise, on fait œuvre scientifique au sens qu’on donne à ce mot depuis que « René » a établi sa domination.
On peut distinguer deux catégories de praticiens, d’une part ceux qui font en construisant à partir d’un savoir, et d’autre part, ceux qui acceptent d’être témoins de ce qui se fait en invitant le corps à se libérer de ses restrictions.
Et bien entendu, cela se fait, puisque c’est une des clés de l’ostéopathie que d’utiliser la capacité du corps à produire sa propre réparation. Les premiers, qui font, se coupent partiellement de la possibilité de sentir ce qui se fait, les seconds, qui acceptent d’être témoins de ce qui se fait, n’ont pas, dans ce processus la préoccupation de savoir très précisément ce qui se passe et d’en être directement responsables. Le temps d’accompagnement du processus de correction est libre de calcul, d’évaluation et d’analyse. Il essaie au contraire de s’en couper afin de ne pas induire la moindre influence qui n’appartiendrait pas aux tissus. Il doit juste s’imposer de sentir, de percevoir, avec des moyens dont chacun dispose, pourvu que chacun accorde à son sens tactile la valeur de relation qu’il a avec son environnement et avec les autres.
Il y a chez nos amis suisses, des confrères qui sont hostiles au concept MRP parce qu’il est inacceptable par la pensée rationnelle en tant que phénomène « non mesuré ». Quand ce principe de base est posé, le simple sigle MRP est alors susceptible de provoquer le rejet de l’idée même de tenter l’expérience. Mais il n'y a pas qu'en Suisse. La même réticence existe, très solidement en Belgique pour une partie des professionnels, et aussi en France où les ostéopathes abordant le crâne, étaient qualifiés de shampouineurs par une génération de praticiens formés en Angleterre. Loin de moi l'idée qu'il n'a pas existé au sein des shampouineurs des fantaisistes consommés, on ne peut pas l'empêcher, c'est ainsi. Mais il y a aussi des gens très sérieux qui font d'un mode relationnel, le fer de lance (expression curieuse dans le contexte) de leur activité thérapeutique.
Mais il est intéressant de constater que dans ces deux tendances, et en simplifiant à l'extrême, s’affrontent respectivement les « cerveaux gauches » d’un côté et les « cerveaux droits » de l’autre. Bien sûr, cette distinction à l’emporte pièce est excessive mais de part et d’autre, une dominante mène la barque qui n’offre pas à l’autre partie la possibilité de s’exprimer pleinement. L’une détaille, l’autre globalise. L’une effectue et dirige, l’autre perçoit et accompagne. L’une est attachée à faire, l’autre à laisser faire ou à laisser « se faire » et en l'occurrence, c’est précisément ce « laisser faire » qui permet que « cela se fasse ».
Je ne crois pas ces quelques lignes capables de permettre un grand changement dans cette situation d’opposition entre deux mondes. Il faudrait déjà qu'elles soient lues par un nombre suffisant de personnes et qu'elles convainquent de "leurs bonnes intentions". Tout au plus peuvent-elles apporter un éclairage susceptible d’amener entre les deux, un peu plus de compréhension et de tolérance, des précautions de langage de part et d’autre, précautions qui permettraient d’estomper les différences, donc de réduire les occasions de conflit et d’affrontement. Ramener la paix dans les tissus devrait être le but de tous les ostéopathes. Par quelque moyen que ce soit comme le suggérait Still.
N'est-ce pas là l'occasion d'initier un grand Mouvement pour Ramener la Paix.
Bonne année.
AA